Le journaliste Hubert Prolongeau a testé pour vous le monde souvent méconnu de l'ésotérisme
2018
Le journaliste Hubert Prolongeau est entré dans une hutte de sudation, il a goûté à un hallucinogène indien, traqué les fantômes, assisté à un exorcisme et en a tiré un livre étonnant. Sans ironie ni hostilité.
Ils voient des anges, vous magnétisent, s’adonnent à des rites chamaniques. Qui sont ces gens qui cherchent d’autres réponses que celles que la science peut leur donner ? Le journaliste Hubert Prolongeau s’est frotté, plusieurs mois durant, à cette étrange tribu pour laquelle le ressenti l’emporte sur le rationnel et dans le monde souvent méconnu de l'ésotérisme
Vous dites que «la magie est toujours parmi nous». Ça a été une surprise pour vous de constater à quel point les gens sont nombreux à croire à des pratiques ésotériques?
La surprise a été réelle. À partir du moment où je me suis intéressé à ces pratiques, sans avoir envie de m’en moquer, je me suis aperçu qu’il y avait énormément de gens, autour de moi, qui croyaient à des choses un peu irrationnelles. Je me suis concentré sur les thérapies, les pratiques qui soignent les gens de façon physique ou psychique, mais qui ne s’expliquent pas, en partant des rebouteux, de l’hypnose, qui sont admis, à des pratiques comme l’exorcisme, l’ayahuasca, l’astrologie, qui le sont beaucoup moins. L’idée était de faire parler les gens qui y croient, de comprendre pourquoi et, dans la mesure du possible, d’essayer moi-même. Ce qui, par ailleurs, crée un lien.
Vous n’avez apparemment eu aucune peine à trouver des témoignages. Ça a été plutôt l’inverse…
En effet. Étonnamment, les gens m’ont parlé très facilement. Sans doute parce qu’ils ont senti que je n’étais pas là ni pour enquêter sur les charlatans, ni pour me moquer d’eux. Je ne leur ai pas fait croire que je gobais tout, mais je suis resté attentif. En fait, ces pratiques sont assez courantes, les gens qui y recourent n’en ont pas honte, mais ils savent qu’elles sont parfois socialement mal vues. Ils n’en parlent donc qu’en confiance. Mais cette confiance est venue facilement.
Parmi les rares refus que vous avez essuyés, il y a une «sorcière» parisienne!
Oui, c’est quelqu’un d’assez étonnant. Elle a une plaque de sorcière. Depuis la sortie du livre, j’ai rencontré quelqu’un qui la connaît. Elle était dans la voyance et ça ne marchait pas très bien apparemment, elle a donc décidé de s’orienter vers des choses plus maléfiques. Elle envoûte, désenvoûte. Mais je ne l’ai pas rencontrée, c’est une espèce de cerbère qui m’a répondu de façon peu amène. Dans l’ensemble, toutefois, les gens ont été très ouverts. En revanche, je suis allé voir les anonymes, pas les professionnels, pas les gens qui gagnent beaucoup d’argent avec ça.
Il faut bien avouer qu’il s’agit d’un domaine où prolifèrent les charlatans. Vous êtes-vous fixé des limites?
L’argent, justement. Le fait que ce ne soit pas des gens qui gagnent des fortunes sur le dos des autres. Je n’ai pas rencontré de fanatiques du prosélytisme, mais des gens qui sont convaincus de ce qu’ils font, qui accueillent volontiers ceux que ça intéresse, sans démarche de missionnaire.
Dans votre livre, on croise notamment un polytechnicien qui voit des fées et parle avec Jésus, un flic médium qui capte des messages de l’au-delà à l’aide d’ultrasons. Les profils sont aussi variés que surprenants. Est-ce que vous avez tout de même observé des récurrences, des points communs?
Je n’ai pas fait de casting, les gens pittoresques sont venus comme les autres. Mais oui, beaucoup sont tombés dans ces croyances après un drame personnel. Certains sont appelés, ils entendent des voix, un guide qui s’adresse à eux. Et malgré les différences de pratiques, il existe une base commune, une vision du monde similaire, qui veut que le hasard n’existe pas. Ce qui compte, dans la vie, c’est le ressenti. Il y a un rejet marqué de la réflexion, du rationnel. Il y a aussi cette idée que nous sommes tous connectés les uns aux autres, qu’un monde invisible existe, qu’il abrite des esprits, des anges gardiens, des guides, c’est selon. De trois observations, on va tirer une justification scientifique. On pourrait penser que ces gens n’ont pas besoin de la science, mais si, il faut quand même qu’ils s’y raccrochent. Au XIXe siècle, l’éther expliquait tout, aujourd’hui, c’est la physique quantique, référence favorite de ces thérapeutes. Elle est contre-intuitive et dit, en gros, que les règles qui gèrent l’infiniment petit ne sont pas les mêmes que celles qui gèrent notre dimension. Il suffit donc de passer de l’un à l’autre pour tout expliquer.
Vous avez vous-même testé toutes sortes de choses. Vous vous êtes notamment fait «canaliser». Ça consiste en quoi?
La canalisation, c’est une façon de communiquer sans parler et sans se voir. J’étais dans une pièce, je fermais les yeux, la médium était assise en face de moi, elle fermait les yeux aussi. Elle me parlait, et parce que j’avais les yeux fermés, j’ai vu des images m’apparaître. L’idée de cette méthode, c’est que des canaux sortent de nous, qu’ils nous relient entre nous, mais aussi à un au-delà et que l’on peut communiquer par ces canaux sans avoir à se parler, et arriver à un niveau de connaissance de l’autre supérieur. Bon, à la fin de la séance, la médium avait le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’assez intime. Sentiment que je ne partageais pas vraiment. Je dois dire que la plupart de ces expériences ne m’ont pas fait grand-chose, en tout cas celles qui ne font intervenir aucun produit ou aucun état de conscience modifié.
Vous évoquez cette magnétiseuse dont le ressenti s’exprime à travers des bâillements, ou même des rots. De l’extérieur, ça prête à sourire, non?
C’est un peu étonnant, effectivement. Le bâillement est très fréquent, le rot un peu moins. Ce qu’il faut souligner, c’est que beaucoup de pratiques sont basées sur des sensations physiques. Après, tout est question d’interprétation. Avec l’ayahuasca, qui est un produit très fort, vous avez des visions durant des heures. Ensuite, on vous en donne une interprétation, mais il y en a d’autres possibles. Je suis remonté dans mes vies antérieures sous hypnose, par exemple. J’ai vu des images du XVIIe siècle dans lesquelles il y avait des mousquetaires, des duels. Pour la thérapeute, il était évident que j’avais été mousquetaire dans une vie précédente et qu’il s’agissait de souvenirs qui me revenaient. Or, j’écrivais alors le scénario d’une BD qui se passait au XVIIe siècle et je recevais régulièrement les planches du dessinateur… Pour moi, il s’agissait bien plus de ça que de ma vie de mousquetaire. Pour elle, non. Mais rien ne prouve que ce soit moi qui aie raison. Pareil pour mon expérience dans la hutte de sudation
Expliquez-nous…
On se trouve dans le noir absolu, autour de pierres chaudes, la température monte très vite à 80 degrés, ça fait un effet sauna. Il y a des gens qui prient, d’autres qui crient, il y a un meneur de hutte qui chante des chants indiens suivant un rythme assez entêtant. Quatre sessions d’un quart d’heure se succèdent. Au bout de deux sessions, j’étais cuit, je dis au meneur que je vais sortir. Il me répond: «Ressource-toi à notre mère la terre», ce qui consistait à se coucher par terre. Il se trouve que l’on était au mois de décembre, que j’étais en caleçon… Si j’ai pu reprendre les dernières sessions, je n’y vois qu’une conséquence thermique. Pas lui. Il m’a dit, très sincèrement: «Notre mère la terre t’a écouté.»
Vous avez essayé d’entrer en contact avec votre père décédé, par l’intermédiaire d’une médium. Qu’avez-vous ressenti?
J’aurais aimé ressentir quelque chose. La conversation a duré une heure. Conversation, le terme est un peu excessif, parce que tout passait par la médium et comme la communication n’était pas très bonne, mon père parlait dans un langage assez haché. Il n’a jamais rien dit qui soit révélateur de quoi que ce soit. À un moment, j’ai tenté le coup, j’ai demandé s’il se souvenait du surnom qu’il me donnait quand j’étais enfant et que la médium ne connaissait pas. Là, il n’a rien dit, le pendule s’est mis à aller n’importe où. Si mon père m’avait dit un truc que seul lui pouvait savoir – expérience dont beaucoup témoignent – j’aurais été assez ébranlé. J’aurais bien aimé l’être.
Vous avez été ébranlé une fois, tout de même.
Oui, c’était assez mineur. J’avais demandé à une voyante si je pouvais la tester, je lui ai donné la photo et le prénom d’une amie. Le lendemain, elle avait trouvé sur elle des tas d’informations, des informations que d’autres personnes, à qui j’avais demandé de se renseigner, n’avaient pas trouvées. C’est la seule chose que j’ai vécue pour laquelle je n’ai pas d’explication. J’ai été confronté à d’autres visions du monde, qui s’opposent à celles, très rationnelles, qui sont généralement admises. Parmi les gens que j’ai rencontrés, un ou deux étaient dans un délire permanent. La plupart avaient des vies, et à côté, une pratique qui leur apportait des réponses. L’amie avec laquelle j’ai pris l’ayahuasca avait une histoire familiale compliquée, elle était depuis quinze ans en analyse et en trois séances d’ayahuasca, elle s’en est libérée. Je ne sais pas comment. Est-ce que les esprits de la forêt l’ont guidée ou est-ce de l’autosuggestion…
Vous avez été autorisé à assister à pratiquement tous les «rituels» auxquels vous vous êtes intéressé, y compris à un exorcisme. Mais pas dans le cadre traditionnel de l’Église…
Un exorcisme officieux, oui. L’Église officielle n’a pas voulu. C’était assez spectaculaire. Mais là aussi, est-ce que la jeune fille était possédée ou est-ce que j’ai assisté à une crise d’hystérie? Je suis incapable de le dire. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas ça, mais le fait que ses parents, elle, ainsi que l’exorciste croyaient vraiment qu’elle était possédée par le démon et faisaient ce qu’il fallait pour la guérir. Tous les gens que j’ai rencontrés croyaient à ce qu’ils faisaient. Il ne s’agit pas de trois fous dans une secte.
Mais vous n’avez pas été convaincu…
Non, mais je ne suis pas non plus le bon client. Je suis quelqu’un de rationnel et j’ai eu la chance de ne pas vivre de drame dans ma vie. Quand un thérapeute me demandait sur quoi «travailler», je n’avais pas grand-chose à dire.
Est-ce que cette enquête vous a tout de même changé?
J’ai gagné en tolérance. Et le discours rationnel intransigeant qui consiste à dire simplement qu’ils sont tous barjos et que c’est psychologique, m’énerve plus qu’avant. Moi, je ne sais pas. Et ça ne me pose plus de problème de ne pas savoir. (nxp)
Par PAR GENEVIÈVE COMBY
Source : www.lematin.ch/
Ça vous parle ?
Hutte de sudation
Rituel inspiré des indiens Lakota qui se pratique sous une tente, autour de pierres brûlantes sur lesquelles on verse de l’eau, comme dans un sauna. On transpire pour se purifier au son de chants et de prières.
Ho’oponopono
Inspiré d’une coutume hawaïenne ancestrale de pardon et de réconciliation, cette pratique consiste à remercier l’univers en répétant devant chaque problème le mantra: «Désolé, pardon, merci, je t’aime», en faisant appel à la partie divine qui nous habite.
Ayahuasca
Ce breuvage à base de liane est traditionnellement consommé par les chamanes des tribus indiennes d’Amazonie. Hallucinogène et purgatif, il est consommé dans le but de réaliser un voyage spirituel dans le cadre de cérémonies réunissant plusieurs personnes et s’étirant sur plusieurs heures.
Quelques chiffres
24% des Suisses croient aux anges, 20% aux miracles, 17% à la télépathie, 14% à la réincarnation et 13% à l’astrologie, selon un sondage réalisé par l’institut Link en 2014.