single-post

Pourquoi les astres fascinent-ils autant le monde de la mode ?

2017

Pourquoi les signes du zodiaque ont-ils envahi les podiums ? Pourquoi les rédactrices de mode ne jurent-elles que par leur horoscope ? À la fois inspiration esthétique et outil de prise de décision, l'astrologie s'immisce dans les penderies comme dans les rédactions. Décryptage des liens amoureux tissés entre ces deux univers vaporeux.

single-post

Retournons en arrière, direction les années 1930. Les surréalistes, férus de sciences occultes et de mysticisme, passionnés de symboles et de rites, s’évertuent à abolir la frontière entre rêves et réalité. Ils sont écrivains, sculpteurs, photographes, peintres, créateurs. Parmi la horde de dévots se trouve Elsa Schiaparelli, créatrice de mode, qui jouit déjà d'une certaine notoriété sur la place parisienne, notamment grâce à de sympathiques pull-overs à motifs trompe-l'œil, créés dix ans auparavant. La jeune femme voit la mode comme un art et s'aligne sur les grands courants de l'époque. Collaboration avec Dalì, Meret Oppenheim ou Picasso, elle imprègne ses modèles de l'effervescence artistique de l'époque.

En 1938, sa collection « Astrologique » reprend les thèmes chers à ses amis surréalistes, avec des motifs astraux et autres broderies célestes sur des capes et des vestes, dont la « Zodiac » ré-éditée en 2017.

single-post

Une amitié de longue durée

« Quand on remonte aux origines de la mode, dans les années 1920-1930, on s'aperçoit que les créateurs franco-italiens étaient proches des milieux artistiques. Ils partageaient une attirance pour le mysticisme, le religieux, le surréalisme », expliquait le sociologue de la mode, Frédéric Godart dans un entretien accordé à L’Express en 2013. Ainsi, personne ne s'étonne des excentricités de la nièce du célèbre astronome Giovanni Schiaparelli, qui sera la première d’une longue lignée de créateurs à introduire les constellations dans la garde-robe des femmes. En effet, le timing est parfait : les premiers horoscopes — coincés entre les recettes de soupe au chou et autres conseils de tricots — viennent de faire leur apparition dans les magazines féminins (Marie-Claire en tête) et les Français(es) ne sont pas contre un peu de rêve à une époque où la réalité ne fait justement pas beaucoup rêver. Les bases sont posées : les astres et la Terre peuvent co-habiter.

Ce n'est certainement pas Christian Dior qui dira le contraire. Le grand couturier est connu pour sa superstition et la confiance accordée à Madame Delahaye, sa voyante, qu'il consulte régulièrement. Un beau jour de décembre 1946, l'homme vient la voir : il a l'opportunité d'ouvrir sa propre maison de couture, mais ne veut rien signer avant d'avoir le feu vert de sa conseillère. Bonne nouvelle, les astres sont formels : « La chance d'aujourd'hui ne se représentera pas, vous devez créer la Maison Christian Dior ! » s'exclame Madame Delahaye. C’est chose faite le 16 décembre 1946. À partir de ce jour, le couturier laisse libre cours à sa créativité et à son mysticisme en nommant tour à tour ses modèles « Horoscope », « Cartomancienne » ou encore « Bonne étoile ».

Bien plus tard, John Galliano reprend le flambeau et ne se prive pas de disséminer des références astrales au gré de ses envies, tandis que Maria Grazia Chiuri — elle-même très portée voyance — rend hommage à la passion du « couturier du rêve » en ornant ses robes d'astres et autres broderies célestes pour sa première collection chez Dior.


single-post

La dé-ringardisation d'une discipline

Madame Delahaye n’étant plus, le gotha de la mode se réfugie aujourd’hui chez Susan Miller, star incontestée de l’astrologie outre-Atlantique. Son site AstrologyZone attire 6 millions de visiteurs par mois et ses horoscopes (gratuits) nourrissent les colonnes d’une dizaine de titres de presse internationaux. Parmi ses fidèles, il y a la styliste Cynthia Rowley — qui a décalé un show en 2009 pour cause de mauvais timing astrologique annoncé par Miller —, des marques comme Calypso St. Barth qui la consulte pour des choix de couleurs ou Furla pour des in-store classes.

De Paris à New York, les rédactrices de mode lisant religieusement les horoscopes de ce gourou d'un nouveau genre sont monnaie courante et l'on ne compte même plus le nombre de deals faits ou défaits grâce aux conseils de l’astrologue, qui participe à rendre ses lettres de noblesse à une discipline longtemps associée au « 3615 voyance ». Son secret ? Éviter de tomber dans les clichés de Madame Irma, comme l'expliquait la journaliste Molly Young dans un article du New York Magazine daté du 18 février 2013. Exit la boule de cristal, le turban étoilé, les élucubrations sur les auras. Miller est terre-à-terre (« Si vous avez besoin d'acheter un ordinateur ou un appareil électronique, c'est maintenant » écrit-elle à l'intention des Sagittaires en août 2017), s’habille comme la fine fleur de l'Upper East Side (ballerines Chanel à l’appui), et s’adresse à un lectorat de privilégiés. Selon ses propres sources, 73% de ses fidèles sont titulaires d’un diplôme d’études supérieures et 38% gagnent plus de 150.000 dollars à l’année.

Pourtant, il fallait bien plus qu'une « bonne présentation » pour attirer la fashion sphère dans ses griffes. Mickey Boardman, « editorial director » de Paper Magazine, a une explication : le monde de la mode à ses obsessions, quelques fois c'est les jus détox, d'autres fois c'est le mouvement des planètes. Susan Miller était là au bon moment et s’est retrouvée associée au succès de ses clients divers et variés. Bingo.


single-post

« C'est pas moi, c'est les planètes »

Mais comment expliquer la longévité de cette lubie ? Pour la comprendre, c'est du côté de Theodor Adorno qu'il faut regarder. Le philosophe s'est intéressé aux horoscopes dans les années 1950 et étudie la question dans « Des étoiles à terre », un livre qui éclaire le rapport de l'homme du 20e siècle à l'astrologie, et reste d'une étonnante modernité.

« Ce qui pousse les gens dans les bras des différents types de "prophètes de l’imposture", écrit Adorno, qui ne portait pas les astrologues dans son cœur, n’est pas seulement leur sentiment de dépendance et leur désir de mettre cette dépendance sur le compte de sources "supérieures" et, en définitive, plus acceptables, c’est aussi leur désir de renforcer cette dépendance, de ne pas avoir à prendre en main leurs affaires. » Un peu comme quand on laisse les pages mode d'un magazine féminin décider de ce que l'on portera cet hiver... De même, se cacher derrière un « c'était la mode à l'époque » pour justifier la présence d'une robe à épaulettes en polyester vert dans notre penderie est un classique, tout comme se dédouaner de certains comportements sous prétexte d'être sous l'emprise des astres (« Si je suis irritable dernièrement, c'est à cause de Vénus »). Pas de remise en question, pas de problème. Ne pas avoir à prendre en main ses affaires, ne pas avoir à réfléchir à son look, laisser aux autres cette responsabilité est un confort qui nous rend aussi libre que prisonnier, coincé par des injonctions qui créent la dépendance volontaire dont parle Adorno.


single-post

Un eternel recommencement

La mode, comme l’astrologie, « prédit » les tendances (le futur en quelque sorte), et en les énonçant, les rend réelles. Le rose est la couleur de la rentrée ? Tous les manteaux de septembre seront roses. Saturne rétrograde et vous pompe votre énergie ? Vous évitez de vous embarquer dans des projets trop prenants. Heureusement, en cas de loupé monumental — en style comme dans la vie — la mode et l'astrologie offrent une seconde chance. Le mouvement des planètes, tout comme celui des tendances, est cyclique, c'est un recommencement éternel qui donne à chacun l'opportunité de partir sur de nouvelles bases. Et de puiser à l'infini dans le passé à la recherche d'inspiration..


single-post

70 ans après Schiaparelli et Dior, l'esthétique de l'occulte — portée aux nues dans le tarot, les cartes astrales et autres représentations des signes astrologiques — reste un imaginaire formidable et illimité dont s'imprègne la mode (Charlotte Olympia, Prada, Gucci, Saint Laurent, Chloé, Valentino ou encore Louis Vuitton), la magnifiant à tour de bras. Après tout, la couture comme l’astrologie s’emploient à vendre du rêve. À l'heure où le monde cherche à se réenchanter, c'est du côté des étoiles que les gens de la mode viennent se ressourcer.





MARGAUX VANWETSWINKEL
Journaliste pour VanityFair.fr
Sur Instagram : @mgxvww