La
vie de Claude
François ressemble à une course-poursuite contre la mort qu'il finira
par perdre avant ses quarante ans. "Je suis un anxieux,
reconnaissait-il par moments. J'ai peur de la mort, du néant, peur du
vide, de l'infini..." Une crainte qui virait à l'obsession selon ses
proches et qui l'amenait à fréquenter des voyantes pour conjurer le
pire. Foncer sans se retourner, comme si toute minute gagnée était un
sursis, et surtout s'imposer, réussir, briller, avant que tout ne
s'arrête. Ainsi filait la vie de Claude François, pied au plancher,
l'artiste tirant sans cesse sur la corde, puisant dans ses réserves
sans écouter son propre corps.
Dès les premiers succès, dans
les années soixante, les alertes se multiplient : son perfectionnisme
maladif alimente un stress permanent, doublé de malaises et de fatigues
chroniques. Sans compter la pression des fans et les aléas des
tournées... En 1965, une scène s'écroule à Abbeville, en plein concert
: on relève le chanteur des gravats, il s'en tire avec quelques côtes
cassées. Qu'importe ! En bon Oriental (il est né en Égypte), Claude
François croit avoir la baraka. C'est sûr, la chance est avec lui, rien
ne peut l'arrêter sur la route du succès. Pourtant, le plus grave est à
venir : il va désormais côtoyer la mort de très près.
Accident, agression, et même attentat !
En
mai 1970, la jeune star est victime d'un grave accident de la route
lorsqu'un pneu de sa berline américaine éclate, à près de 180
kilomètres à l'heure. Sa Lincoln Continental coupe les quatre voies et
termine sa course contre le talus : Claude traverse le pare-brise et
s'en tire miraculeusement avec un nez cassé. Après une rhinoplastie, il
repart de plus belle ! Trois ans plus tard, en 1973, deuxième coup dur
lors d'un concert au palais des sports de Marseille. La salle est
surchauffée, trop peut-être, un fan l'agresse en lui lançant violemment
au visage une canette de bière. Claude François tombe K.-O., on croit
le pire arrivé, il s'en sort avec une arcade sourcilière ouverte.
Rapatrié d'urgence à Paris, il en est quitte pour des points de suture
et une belle frayeur.
En
juillet 1975, nouvelle alerte très sérieuse à Monaco. Invité par le
prince Rainier et Grace, le chanteur rejoint le Rocher en hélicoptère.
À peine déposé sur le parvis du Sporting Club, il voit avec horreur
l'engin dans lequel il se trouvait quelques minutes auparavant
s'écraser sous ses yeux. Une nouvelle fois - la troisième -, Claude
François évite le pire. Mais la série noire continue ! La même année,
le 5 septembre, la star se trouve cette fois à Londres pour enregistrer
la version anglaise du "Téléphone pleure". Au moment où il sort de
l'ascenseur de son hôtel, le hall est dévasté par une bombe de l'IRA,
l'Armée républicaine irlandaise. Claude François est projeté par le
souffle de l'explosion. "J'ai cru que j'étais mort, raconte-t-il à
l'époque. J'avais le corps criblé de poudre et le visage recouvert de
chair et de sang, mais ce n'était pas le mien... J'étais totalement
sourd." Il souffre de lésions au tympan, mais la mort l'a une fois de
plus épargné.
Neuf balles dans sa
Mercedes
Mais
c'est en 1977 qu'il faillit y rester pour de bon. Dans la nuit du 25 au
26 juin, tandis qu'il rejoint son moulin de Dannemois, dans l'Essonne,
sa voiture est prise en chasse par des malfrats qui ouvrent plusieurs
fois le feu, manquant de le tuer - une balle lui frôle la tempe.
Jalousie, rodéo qui tourne mal ? Les poursuivants finissent par
abandonner leur proie lorsque Claude atteint les abords du moulin. La
police relève tout de même onze points d'impact de 9 mm sur la Mercedes
! Dès lors, une sourde anxiété ne va plus le quitter. "On a prédit
trois fois à mon frère qu'il allait mourir jeune, a confirmé sa soeur
Josette. Claude était très angoissé les mois qui ont précédé sa mort.
Il avait peur qu'il n'y ait plus rien, Il espérait une vie après la
vie."
Sa
disparition tragique en mars 1978 met un terme à cet incroyable destin
accompli sur le fil du rasoir, pendant près de quinze ans. Une fuite en
avant vers la reconnaissance absolue. "En réalité, il a vécu la mort
aux trousses, analyse aujourd'hui son biographe Fabien Lecoeuvre,
conseiller sur le film Cloclo. Il a construit sa carrière comme s'il
pressentait qu'elle lui serait posthume, qu'elle lui survivrait." À
travers cette mort précoce qu'il redoutait le plus, Claude François
aura finalement conjuré la crainte qui le hantait en sourdine : la
vieillesse et l'oubli.